Tangalle, l’émotion post-tsunami

A la gare routière, on trouve un grand tuk-tuk capable de nous transporter tous avec nos bagages. Direction la plage… On avait tellement aimé cet endroit il y a 10 ans qu’après avoir séjourné quelques jours avec nos amis Lara et Piero au Shanika Beach Inn dont on avait adoré les propriétaires, on était revenu avec Fabrice en arrière pour notre dernière semaine de vacances au Sri Lanka. On avait passé une semaine avec eux, et on était parti avec difficultés !

Tangalle

Tangalle

On reconnaît très vite les lieux, et on est tout heureux de voir le Shanika Beach Inn reconstruit. Les couleurs sont différentes, la guesthouse a maintenant des étages mais on se dit que forcément, ses habitants sont vivants et ça nous rend tout heureux !

Shanika Beach Inn

Shanika Beach Inntan

On reconnaît tout de suite Shanta et lui aussi. On est ravi de le revoir, de comprendre qu’il a survécu au tsunami. Mais il nous dit immédiatement que son frère, le pécheur, n’a pas survécu. C’est le choc ! Le fait d’avoir vu la guesthouse reconstruite, son propriétaire avaient enfin combler nos espérances, et cela paraissait presque logique, que Sisada soit lui aussi en vie. Ce n’est pas le cas.
On a beaucoup de mal à parler. Shanta n’a plus de place pour nous loger, alors il cherche ailleurs pour nous. On est sonné et on prend la première chambre qui nous semble correcte, le prix est un peu elevé Rs 4000 sans petit déjeuner et la chambre s’avère assez sale (vive l’alcool à 70 degrés pour tout nettoyer) mais elle est en hauteur et aérée et bien grande.

Il nous faudra quelques heures pour retourner voir Shanta. Fabrice ira seul au début, j’ai les larmes aux yeux en pensant à lui et à son frère. Il lui raconte cette journée d’enfer, le 26 décembre 2004 quand il a vu une vague immense arriver au loin.
La plage de Tangalle est une baie, ce sont les deux cotés qui ont pris le plus gros de la vague et son frère venait de lui dire qu’il se rendait sur la pointe pour travailler. Son corps a été retrouvé deux jours après à 2,5 kms de là, la boite cranienne défoncée.

Quant à Shanta, son hôtel se situe au milieu de la plage. Quand la mer s’est retirée, les habitants ont compris qu’il se passait quelque chose de grave et ils sont partis derrière les maisons. La plupart ont pu grimper sur la petite colline qui surplombe ces maisons, mais environ 1000 personnes sont quand même mortes sur cette plage.
Il nous montre le seul objet qu’il a gardé : une horloge arrêtée pour toujours sur 9h05, l’heure où la vague, qui avait déjà tué des milliers de personnes à Banda Aceh en Indonésie à 7 heures du matin, est arrivée sur les cotes Sud et Est du Sri Lanka.

Tangalle beach

Tangalle beach

Tout a été détruit, les maisons, les guest-houses, les jardins. Seuls les cocotiers du bord de l’eau ont tenu bon, Shanta nous explique que la mer est d’abord montée, que les arbres ont été submergés par l’eau et que la vague ne s’est cassée qu’au niveau de la route et des maisons. Voilà pourquoi ils sont encore là.

Tangalle Beach

Tangalle Beach

Il nous dit que les habitants ont été beaucoup aidés par l’extérieur. Des associations sont venues reconstruire avec eux bateaux et maisons. Des touristes sont venus passer leurs vacances pour aider à rebâtir et repeindre les hôtels. On se sent clairement très minables… On avait gardé le contact avec Shanta pendant 2 ans, et après le tsunami, on avait essayé de le joindre, mais ni la poste ni le téléphone ne fonctionnaient. Les médias étaient focalisés sur la Thaïlande et l’Indonésie, et on parlait peu du Sri Lanka. Un jour, on a vu  un reportage montrant les dégats dans la ville de Tangalle, située à 1.5 kms de la plage. On s’était dit que personne n’avait pu survivre sur la plage si la ville elle-même avait été envahie par l’eau.

Alors, on a laissé tomber. On y a beaucoup pensé et puis les années ont filé. Pour moi, il n’était pas possible qu’il soit vivant, Fabrice y croyait plus.

Et là, on réalise qu’on aurait pu faire beaucoup pour aider Shanta, ne serait-ce qu’être là. Mais pour nous, le 26 décembre 2004, c’est aussi la naissance de Maceo et on était de jeunes parents bien occupés à l’époque. Fabrice n’arrive même pas à dire à Shanta qu’on fait un grand voyage et que si on avait mis le Sri Lanka sur notre liste initiale, on n’était absolument pas surs d’y venir …

En plus, il refuse qu’on paye les petits déjeuners qu’on prend chez lui, il nous prépare un diner excellent, avec poissons et crevettes et refuse encore une fois qu’on participe financièrement. Même s’il est clair qu’il n’a pas de soucis financiers, on est parfois géné devant tant de gentillesse. Il est ravi de connaître nos enfants, se souvient bien des parties de pêche endiablées de Fabrice de Sisida. Il nous présente sa femme et son fils, né il y a 6 ans. Il a un autre garçon de trois ans qu’on ne rencontrera pas, car il préfère vivre avec ses grands-parents à quelques kilomètres de là.

Shanta a reconstruit sa guest-house en hauteur : trois étages pour des bungalows, ça n’a pas tellement de charme, mais comment le blâmer. Son habitation est au premier, il refuse de vivre au niveau de la mer. Il nous explique que les habitants ont reçu un lopin de terre dans l’arrière-pays et qu’ils ont tous construits une petite maison. Vide pour l’instant mais dans laquelle ils conservent leurs documents importants et qui est prête à les accueillir en cas de tsunami. La peur d’une nouvelle vague est omniprésente mais pourtant il a voulu reconstruire ici et continuer son travail là.

Shanta et son fils

Shanta et son fils

Si on adore toujours Tangalle, on sera Fabrice et moi, très largement touchés par ce qui est arrivé à Shanta et son frère ; il n’y a sans doute pas une heure pendant laquelle nous n’avons pas pensé à cette vague meurtrière. On a souvent la chair de poule en regardant la mer, et on s’en veut terriblement de ne pas avoir été présents pour Shanta. On passe tous les jours devant les tombes, face à la mer, des personnes qui sont mortes ce jour là, il y a aussi des pierres au nom de certains touristes décédés ici.

Tombe de Sisida

Tombe de Sisida

Notre séjour à Tangalle, c’est donc beaucoup d’émotions mais aussi une chouette rencontre : Hannah entend une petite fille parler français, c’est Maélia, une petite belge de 5 ans, et sa petite sœur Annette, 2 ans et demi. Et quand les enfants se rencontrent, les parents aussi. On sympathise avec Quentin et Barbara qui sont en vacances pour 2 mois au Sri Lanka. C’est la première famille voyageuse qu’on rencontre, jusque là, c’était des locaux ou expatriés.

Hannah est ravie, adore sa nouvelle copine et la réclame sans cesse.

Maélia et Hannah

Maélia et Hannah

C’est assez réciproque, et on se retrouve à vadrouiller ensemble, à buller sur la plage et à surveiller tout ce petit monde.

Monstre de sable

Monstre de sable

La mer est très agitée à Tangalle, les enfants ne peuvent pas se baigner seuls même dans peu d’eau. Ils s’amusent quand même comme des fous dans les vagues du bord.

Grosses vagues de Tangalle

Grosses vagues de Tangalle

On s’installe devant le bungalow des Belges, ils nous font rire avec leurs expressions. On teste avec eux les heures d’attente dans les restaurants. On arrive parfois à 19h pour être servis deux heures plus tard. Les filles sont aussi bruyantes l’une que l’autre… Les autres clients des restaus lèvent parfois les yeux au ciel devant tant d’agitation.
Les parties de UNO sont plus endiablées que jamais et Hannah est capable de pleurer le soir en laissant sa petite amie, qu’elle a pourtant vue toute la journée !

Hannah et Annette

Hannah et Annette

La petite Annette est délicieuse, elle parle super bien et raconte en détail tout ce qu’il lui arrive : « là, je suis dans la mer, ça mouille, il y a beaucoup d’eau. Toi, pas mouiller moi, d’accord ? ».

Maceo et Fabrice aident les pécheurs à sortir les poissons de l’eau, il faut tirer hors de l’eau un grand filet et cela prend presque une heure. Les vaches sont toujours là, sur la route ou sur la plage à se balader.

Tangalle

Tangalle

Ce qui est très chouette à constater, surtout après notre séjour balinais, c’est la propreté des lieux. Le tourisme s’est développé depuis 2009, fin de la guerre civile et cela n’a pas empêché les autorités de mettre en place le ramassage des ordures et le recyclage. Un bon point pour le Sri Lanka!

Un jour, on s’accorde une après-midi détente dans un hôtel chic, l’Eva Lanka. On déjeune sur place, les prix sont en dollars et bien plus élevés qu’ailleurs mais la nourriture est copieuse et bonne. Et puis, cela permet l’accès à deux piscines et un grand jardin luxuriant. Seul point étonnant : la carte est écrite en russe et pas en anglais (sauf les noms des plats). Je demande une carte en anglais, le serveur m’en apporte une en me disant que les prix ne sont plus d’actualité, car ils n’ont pas refait la carte en anglais. On avait remarqué que les Russes étaient maintenant un peuple qui voyageait beaucoup, mais on ne savait pas que certains hôtels étaient maintenant entièrement dédiés à cette clientèle !

Gwen et Hannah à l'Eva Lanka

Gwen et Hannah à l’Eva Lanka

La plage est très belle, avec une sorte de trapèze sur lequel Maceo grimpe évidemment pour se suspendre dans le vide, sous les regards admiratifs des Srilankais qui tiennent le petit restaurant de la plage. Hannah essaye aussi, sans se jeter du cocotier et tient bien le coup !

Plage de l'Eva Lanka

Plage de l’Eva Lanka

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Encore un endroit où le tsunami a fait des ravages. Maceo remarque une barque avec sa date d’anniversaire dessus et deux smileys tristes dans les zéros de 2004. Les murs du restaurant ont été laissés en l’état, pour se souvenir sans doute et la nouvelle version a été construite quelques mètres après.

Plage de l'Eva Lanka

Plage de l’Eva Lanka

Hannah perd son doudou en repartant de l’hôtel, enfin on ne s’en rend compte que le soir ! C’est la course le lendemain matin, Hannah se réveille les larmes aux yeux « il faut retrouver mon doudou maman, il me manque trop », jour de départ pour faire simple : appel à l’hôtel, recherche en tuk-tuk et revisites des magasins dans lesquels on a été. On finit par le retrouver à coté de chez nous… sans même se souvenir qu’il avait été emmené jusque là…

On part de Tangalle, presque parce qu’il le faut… On y est super bien, mais en même temps, on est trop touchés par rapport à ce drame. On offre au fils de Shanta quelques cadeaux ; on ne sait pas quoi faire pour eux. Ils sont si gentils avec nous…

Au revoir famille tantôt!

Au revoir famille tantôt!

On dit au revoir à la petite famille belge, nos chemins se séparent, ils vont aller faire un tour dans les montagnes du Sri Lanka et nous partons vers Mirissa, une autre plage. On embrasse très fort Shanta, et on s’en va, le cœur vraiment lourd.

5 réflexions au sujet de « Tangalle, l’émotion post-tsunami »

  1. Un superbe article empreint d’émotion, merci. J’aurai une pensée en passant devant cette guest house en avril prochain. Si vous ne l’avez pas lu, je vous conseille les larmes de Ceylan de Philippe Gilbert, un français sur la plage de Medaketiya a Tangalle lors de la vague. Vous aurez les infos sur mon blog 🙂
    À bientôt,
    Caroline

    • Merci pour la référence du livre! je vais le chercher de retour en france…Je savais qu’Emmanuel Carrere en avait écrit un, mais je ne connaissais pas celui-là. Et au fait, j’ai beaucoup lu ton site avant de partir au sri lanka; une mine d’infos!

      gwen

      • En fait Emmanuel Carrère raconte l’histoire de Philippe, du coup c’est intéressant je trouve de lire la version de Philippe (et très poignant). N’hésite pas si tu veux des infos 😉 Bonne journée et enjoy 🙂

  2. Bonjour, je suis Québecoise et je viens de lire un peu sur votre périple.Très touchant votre retrouvaille au Sri Lanka après le tsunami.Bon voyage et bon courage.

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